Quand la vie d'un homme est en jeu, il devient superstitieux en diable et les événements les moins importants sont à ses yeux des pronostics sérieux.
On me transmit enfin l'ordre d'entrer et je me trouvai, en quelques instants, en présence de celui qui allait décider si, selon la coutume, je devais aller avant longtemps me balancer au bout d'un lasso, suspendu aux branches de l'arbre le plus voisin.
J'entrai d'un pas ferme et en prenant un air assuré qui s'accordait assez mal avec les idées noires qui se croisaient dans mon cerveau.
Plusieurs officiers étaient assis autour d'une table couverte de cartes et de dépêches. Le général, en petite tenue, arpentait la salle de long en large et semblait absorbé dans ses pensées. Au bruit que firent mes gardes en entrant, il leva la tête et me fit, de la main, signe d'avancer près de lui.
- Mes hommes m'apprennent, dit-il, qu'ils vous ont arrêté sur la route de Monterey à Salinas ; et il me paraît pour le moins curieux que vous ayez eu l'audace de vous aventurer sur un territoire complètement au pouvoir de nos troupes depuis plusieurs mois. Ceux qui vous ont fait prisonnier vous accusent d'espionnage, et m'est avis qu'ils ont raison. Qu'avez-vous à dire pour vous défendre ?
- Rien, général. Il est permis à vos gens de m'accuser d'espionnage quand vous savez que je ne puis apporter aucune preuve pour me défendre. Je connais les lois de la guerre pour les avoir plusieurs fois exécutées moi-même sur l'ordre de mes supérieurs. Je ne suis pas un espion, mais il m'est probablement impossible de vous le prouver. Les raisons qui m'ont porté à entreprendre le voyage de Salinas sont d'une nature tout à fait pacifique ; je vous en donne ma parole de soldat.
Le général fixa sur moi un oeil scrutateur, mais je supportai son regard avec une assurance qui me parut produire un bon effet.
- Et ces raisons, quelles sont-elles ?
Je baissai la tête en souriant et je racontai au général étonné mon amour pour Anita et ma résolution de lui dire bonjour en passant à Monterey. Je lui fis part de ma résolution de me rendre à Salinas, malgré les avis que j'avais reçus de la présence des juaristes en cet endroit et de mon arrestation subséquente par ses hommes.
Il continua sa promenade pendant quelques minutes, en paraissant réfléchir probablement à la plausibilité de mon histoire. Se tournant vers moi tout à coup :
- Vous me paraissez un bon diable et je crois que vous dites la vérité. Mais si vous n'étiez un des hommes de Dupin, j'ajouterais à peine foi à vos paroles. Votre régiment se bat comme une brigade et les bons soldats sont amoureux en diable : les Français surtout. Que diriez-vous si je vous offrais les épaulettes de capitaine dans un de mes régiments de lanceros ?
- Je dirais, général, que vous voulez probablement vous moquer de moi ; ce qui serait à peine généreux de votre part.
- Rien de plus sérieux. Dites un mot et vos armes vous seront rendues avec votre liberté. De plus, comme je vous l'ai déjà dit, une compagnie de braves soldats de la République mexicaine sera placée sous vos ordres.
- Général Trevino, répondis-je en me redressant et en le regardant en face, si quelque malheureux, oubliant son devoir et son honneur de soldat loyal, a pu sans mourir de honte prêter son épée à une aussi basse transaction, apprenez que je ne suis pas un de ces hommes-là. Plutôt mille fois mourir simple soldat, fidèle à mon devoir d'honnête homme, que de vivre avec un grade que j'aurais acheté au prix d'une trahison déshonorante.
- Est-ce là votre dernier mot ?
- Oui, général.
- Et vous avez bien réfléchi ?
- J'ai bien réfléchi.
Le général parut absorbé dans ses pensées pendant quelques instants, puis se tournant vers l'un de ses aides de camp :
- Capitaine Carillos, dit-il, vous verrez à ce que le prisonnier soit conduit sous bonne escorte au camp de Santa Rosa, pour y être interné jusqu'à nouvel ordre ; et faisant signe de la main aux gardes qui m'avaient introduit, il me renvoya au corps de garde en attendant mon départ qui ne devait pas longtemps tarder. Pour le moment j'avais la vie sauve ; mais s'il me fallait croire les récits de ceux de nos soldats qui avaient eu l'expérience de quelques mois de captivité chez les Mexicains, je n'avais guère à m'en féliciter.
Les Mexicains, à de rares exceptions près, traitaient leurs prisonniers un peu à la manière des Indiens des plaines de l'Ouest.
Chez eux, c'était l'esclavage, accompagné de tous les mauvais traitements que suggérait à ces soldats demi-brigands leur nature sauvage et vindicative.
Il me restait cependant une dernière chance : l'évasion.
Coûte que coûte, j'étais bien décidé à tout risquer pour regagner ma liberté. Aussi commençai-je à l'instant même à former des plans plus ou moins praticables pour m'échapper des mains des Chicanos.
Le lendemain, de grand matin, flanqué de deux cavaliers et ficelé de nouveau des pieds à la tête, je prenais la route de Santa Rosa.
Comme nous étions en pays ami pour les juaristes, les gardes me laissèrent une certaine latitude, et n'eussent été les liens qui me gênaient terriblement, je n'aurais pas eu trop à me plaindre de ces messieurs. Trente-six heures de route devaient nous conduire au camp, et en attendant, je me creusais la tête pour trouver le moyen de tromper mes Mexicains.
Si j'avais eu de l'or, j'aurais pu les acheter corps et âmes, car il est proverbial que les descendants de Cortez - comme leurs ancêtres - ne savent pas résister aux appas d'une somme un peu respectable ; mais je n'avais pas un sou. On m'avait tout enlevé.
Nous campâmes, le premier soir, aux environs de Monclova et je passai la nuit à méditer des plans d'évasion, tous les uns plus impossibles que les autres.
Nous nous mîmes en route de bonne heure, dans l'espérance - pour mes gardes, bien entendu - de pouvoir atteindre le soir même le but de notre voyage.
Je commençais à croire qu'après tout, il me faudrait attendre une occasion plus favorable, et je me résignais à subir mon sort tant bien que mal.
Vers trois heures de l'après-midi, nous nous arrêtâmes à l'Hacienda de los Hermanos pour reposer nos chevaux et prendre nous-mêmes un dîner dont nous avions grand besoin.
Là, j'appris d'un péon - domestique - que les Français avaient été vus la veille sur la route de Paso del Aguila, et un rayon d'espérance vint relever mon esprit abattu.
Mes gardes se hâtèrent de prendre un mauvais repas composé de tortillas et de frijoles dont ils m'offrirent une part assez libérale que j'acceptai avec plaisir.
Ils avaient appris comme moi que les Français rôdaient dans les environs, et ils tenaient probablement à atteindre Santa Rosa le soir même, afin de se trouver à l'abri des attaques des éclaireurs impériaux qui battaient la campagne.
Ils ignoraient que je fusse au courant de la cause de ce départ précipité, mais comme je l'ai dit plus haut, j'en avais été informé aussitôt qu'eux.
J'espérais donc ardemment ce qu'ils paraissaient redouter : la rencontre de quelque détachement de troupe française qui aurait bien pu intervertir les rôles et les faire prisonniers tout en me rendant la liberté.
On me transmit enfin l'ordre d'entrer et je me trouvai, en quelques instants, en présence de celui qui allait décider si, selon la coutume, je devais aller avant longtemps me balancer au bout d'un lasso, suspendu aux branches de l'arbre le plus voisin.
J'entrai d'un pas ferme et en prenant un air assuré qui s'accordait assez mal avec les idées noires qui se croisaient dans mon cerveau.
Plusieurs officiers étaient assis autour d'une table couverte de cartes et de dépêches. Le général, en petite tenue, arpentait la salle de long en large et semblait absorbé dans ses pensées. Au bruit que firent mes gardes en entrant, il leva la tête et me fit, de la main, signe d'avancer près de lui.
- Mes hommes m'apprennent, dit-il, qu'ils vous ont arrêté sur la route de Monterey à Salinas ; et il me paraît pour le moins curieux que vous ayez eu l'audace de vous aventurer sur un territoire complètement au pouvoir de nos troupes depuis plusieurs mois. Ceux qui vous ont fait prisonnier vous accusent d'espionnage, et m'est avis qu'ils ont raison. Qu'avez-vous à dire pour vous défendre ?
- Rien, général. Il est permis à vos gens de m'accuser d'espionnage quand vous savez que je ne puis apporter aucune preuve pour me défendre. Je connais les lois de la guerre pour les avoir plusieurs fois exécutées moi-même sur l'ordre de mes supérieurs. Je ne suis pas un espion, mais il m'est probablement impossible de vous le prouver. Les raisons qui m'ont porté à entreprendre le voyage de Salinas sont d'une nature tout à fait pacifique ; je vous en donne ma parole de soldat.
Le général fixa sur moi un oeil scrutateur, mais je supportai son regard avec une assurance qui me parut produire un bon effet.
- Et ces raisons, quelles sont-elles ?
Je baissai la tête en souriant et je racontai au général étonné mon amour pour Anita et ma résolution de lui dire bonjour en passant à Monterey. Je lui fis part de ma résolution de me rendre à Salinas, malgré les avis que j'avais reçus de la présence des juaristes en cet endroit et de mon arrestation subséquente par ses hommes.
Il continua sa promenade pendant quelques minutes, en paraissant réfléchir probablement à la plausibilité de mon histoire. Se tournant vers moi tout à coup :
- Vous me paraissez un bon diable et je crois que vous dites la vérité. Mais si vous n'étiez un des hommes de Dupin, j'ajouterais à peine foi à vos paroles. Votre régiment se bat comme une brigade et les bons soldats sont amoureux en diable : les Français surtout. Que diriez-vous si je vous offrais les épaulettes de capitaine dans un de mes régiments de lanceros ?
- Je dirais, général, que vous voulez probablement vous moquer de moi ; ce qui serait à peine généreux de votre part.
- Rien de plus sérieux. Dites un mot et vos armes vous seront rendues avec votre liberté. De plus, comme je vous l'ai déjà dit, une compagnie de braves soldats de la République mexicaine sera placée sous vos ordres.
- Général Trevino, répondis-je en me redressant et en le regardant en face, si quelque malheureux, oubliant son devoir et son honneur de soldat loyal, a pu sans mourir de honte prêter son épée à une aussi basse transaction, apprenez que je ne suis pas un de ces hommes-là. Plutôt mille fois mourir simple soldat, fidèle à mon devoir d'honnête homme, que de vivre avec un grade que j'aurais acheté au prix d'une trahison déshonorante.
- Est-ce là votre dernier mot ?
- Oui, général.
- Et vous avez bien réfléchi ?
- J'ai bien réfléchi.
Le général parut absorbé dans ses pensées pendant quelques instants, puis se tournant vers l'un de ses aides de camp :
- Capitaine Carillos, dit-il, vous verrez à ce que le prisonnier soit conduit sous bonne escorte au camp de Santa Rosa, pour y être interné jusqu'à nouvel ordre ; et faisant signe de la main aux gardes qui m'avaient introduit, il me renvoya au corps de garde en attendant mon départ qui ne devait pas longtemps tarder. Pour le moment j'avais la vie sauve ; mais s'il me fallait croire les récits de ceux de nos soldats qui avaient eu l'expérience de quelques mois de captivité chez les Mexicains, je n'avais guère à m'en féliciter.
Les Mexicains, à de rares exceptions près, traitaient leurs prisonniers un peu à la manière des Indiens des plaines de l'Ouest.
Chez eux, c'était l'esclavage, accompagné de tous les mauvais traitements que suggérait à ces soldats demi-brigands leur nature sauvage et vindicative.
Il me restait cependant une dernière chance : l'évasion.
Coûte que coûte, j'étais bien décidé à tout risquer pour regagner ma liberté. Aussi commençai-je à l'instant même à former des plans plus ou moins praticables pour m'échapper des mains des Chicanos.
Le lendemain, de grand matin, flanqué de deux cavaliers et ficelé de nouveau des pieds à la tête, je prenais la route de Santa Rosa.
Comme nous étions en pays ami pour les juaristes, les gardes me laissèrent une certaine latitude, et n'eussent été les liens qui me gênaient terriblement, je n'aurais pas eu trop à me plaindre de ces messieurs. Trente-six heures de route devaient nous conduire au camp, et en attendant, je me creusais la tête pour trouver le moyen de tromper mes Mexicains.
Si j'avais eu de l'or, j'aurais pu les acheter corps et âmes, car il est proverbial que les descendants de Cortez - comme leurs ancêtres - ne savent pas résister aux appas d'une somme un peu respectable ; mais je n'avais pas un sou. On m'avait tout enlevé.
Nous campâmes, le premier soir, aux environs de Monclova et je passai la nuit à méditer des plans d'évasion, tous les uns plus impossibles que les autres.
Nous nous mîmes en route de bonne heure, dans l'espérance - pour mes gardes, bien entendu - de pouvoir atteindre le soir même le but de notre voyage.
Je commençais à croire qu'après tout, il me faudrait attendre une occasion plus favorable, et je me résignais à subir mon sort tant bien que mal.
Vers trois heures de l'après-midi, nous nous arrêtâmes à l'Hacienda de los Hermanos pour reposer nos chevaux et prendre nous-mêmes un dîner dont nous avions grand besoin.
Là, j'appris d'un péon - domestique - que les Français avaient été vus la veille sur la route de Paso del Aguila, et un rayon d'espérance vint relever mon esprit abattu.
Mes gardes se hâtèrent de prendre un mauvais repas composé de tortillas et de frijoles dont ils m'offrirent une part assez libérale que j'acceptai avec plaisir.
Ils avaient appris comme moi que les Français rôdaient dans les environs, et ils tenaient probablement à atteindre Santa Rosa le soir même, afin de se trouver à l'abri des attaques des éclaireurs impériaux qui battaient la campagne.
Ils ignoraient que je fusse au courant de la cause de ce départ précipité, mais comme je l'ai dit plus haut, j'en avais été informé aussitôt qu'eux.
J'espérais donc ardemment ce qu'ils paraissaient redouter : la rencontre de quelque détachement de troupe française qui aurait bien pu intervertir les rôles et les faire prisonniers tout en me rendant la liberté.