Elle entre dans la vie de ménage, comme dans un appartement neuf, duquel elle ne connaît ni les inconvénients, ni les avantages ; elle ne peut voir la vie qu'à travers les illusions dont elle enveloppe son rêve, et le premier qu'on lui présente, c'est le mari qu'elle accueille, en ayant cru le choisir ! Si c'est un galant homme, elle a quelque chance de bonheur, sinon elle sera une victime de plus. Quant à l'attrait, à la sympathie, à l'amour ... l'amour surtout qu'elle doit à peine connaître de nom, on s'en préoccupe peu ; elle ouvrira le livre de la vie, en commençant par la dernière page, et ainsi le voile, déchiré tout à coup, lui montrera brutalement l'existence et chassera ces rêves chéris qu'elle ne pourra plus jamais caresser !
Lorsque les premiers moments d'amour-propre flatté, de vanité assouvie furent passés pour Louise, un désenchantement absolu s'empara de tout son être, ce fut comme un malaise inexplicable, mais incessant.
Notre intimité, toujours croissante, fit qu'elle aima, dès le début, à se confier à moi, me faisant part de ses impressions les plus personnelles, me détaillant, avec une précision quelquefois gênante, toutes les circonstances qui consacrent à jamais l'union conjugale ...
Moments précieux et décisifs de l'existence qui sont si souvent remplis d'angoisses, voire même de crainte ... trop rarement hélas ! de charmes !
- Ma Jeanne chérie, me disait-elle, tu sais bien que mon sommeil avait toujours été abrité par l'ombre du rideau de ma mère, comme par l'aile d'un bon ange ; j'avais grandi bercée dans son sourire qui saluait chaque matin mon réveil ... ce doux sourire maternel qui fait croire que la vie est bonne ! ...
Et voilà que, tout a coup, ma mère disparaît, me livrant à un homme avec lequel, la veille, on ne me laissait pas causer seule. Alors je me mis à trembler, me reprochant ce moment de vertige, où, triomphant de mes hésitations, j'avais laissé entendre ce mot fatal : « Oui ! je l'accepte pour époux ! »
Oh ! mères, que vous êtes coupables, vous qui cachez à vos filles jusqu'au soupçon de la réalité !
Te souvient-il de cette foule qui m'a semblé innombrable à la cérémonie religieuse ? Ces chants pieux, l'autel éblouissant, le parfum enivrant de l'encens et des fleurs ! ... que sais-je ? mes voiles, ma robe blanche ...
Tout ce troublant ensemble se déroulait en ma mémoire ... j'étais mariée ... du moins pour le monde !
Mais quand ce rêve d'un jour s'envole et que la nuit descend ... quelle chute !
J'étais seule dans ma chambre, et tout en repassant en moi-même cette journée, je ne m'apercevais pas que les heures continuaient à se succéder ... quand j'entendis ma porte s'ouvrir, et mon mari parut ...
- Louise, arrête-toi, m'écriai-je, je ne sais vraiment si je puis continuer à t'entendre.
- Je t'en supplie, dit-elle, en me forçant à me rasseoir et à l'écouter, il faut que je te raconte, il faut que tu saches, j'ai confiance en toi ! ... Tu n'es donc plus mon amie ? ...
- Oh ! si, pauvre petite !
Elle continua :
- J'étais donc la propriété de cet homme, puisqu'il entrait ainsi chez moi, sans me demander si cela me convenait.
Être la chose de quelqu'un, c'est révoltant !
Je ne sais ce qu'il pensa, lui, mais il vint s'asseoir tout près de moi, si près que je respirais son haleine ; je voulais fuir, et me sentais clouée à ma place ! Il me fit un signe que je ne compris pas, puis il m'entraîna doucement avec lui et me souleva dans ses bras : là je ne sais plus bien ce qui se passa ; mais, sous ses baisers brûlants, je ne cherchais plus a me défendre, cédant à la violence de ses caresses, quand, tout à coup, je ressentis une impression inénarrable ; je jetai un cri, et perdis connaissance ! ... Est-ce que tu as perdu connaissance aussi, toi ?
- Louise, je t'ai promis de t'écouter, mais non de te faire des révélations aussi intimes !
Dans tout ce qu'elle me disait, je démêlais surtout une horreur, une répugnance que je ne pouvais comprendre, mariée moi-même depuis peu, heureuse et calme, dans une ivresse que rien ne semblait pouvoir troubler ! ...
Pauvre petite ! comme je l'aimais alors ! Il me semblait dans ces entretiens pleins d'abandon qu'elle avait besoin de moi, et que ma patience à l'écouter était un soulagement pour elle ! Son union fut stérile ; dans les premiers temps, elle en eut un réel chagrin, surtout lorsqu'elle vit un berceau près de moi et qu'elle embrassa mon premier-né. Souvent elle le prenait dans ses bras et se cachait afin de dissimuler une larme !
Ma petite Louise, pourquoi ne pas avouer que c'est cela qui a manqué à toute ta vie ? Voilà ta seule excuse si on veut bien t'en laisser une. Tu as eu beau être admirée, tu as eu beau être artiste, rien, vois-tu, n'atteint, comme poésie, le premier sourire de son fils !
J'ai dit qu'elle était artiste. Oui, elle l'était réellement ; sa voix chaude et caressante remuait jusqu'aux plus intimes fibres du coeur ; et quoique son mari n'aimât pas beaucoup la musique, elle avait souvent des réunions, soit nombreuses, soit intimes, où elle se produisait avec un charme incomparable.
Parmi ses habitués, dont j'étais naturellement, il y avait un ménage d'une laideur remarquable qui l'admirait de confiance, trop heureux d'être admis dans un salon élégant.
Ils appartenaient a cette catégorie plate et dédaigneuse qui flatte ceux dont elle espère tirer avantage, et qui n'a qu'un sourire de pitié pour le reste !
Puis une femme brune, grande, au teint mat, qu'on aurait prise pour un marbre antique échappé à quelque musée, sans ses grands yeux noirs brillants qui vous pénétraient jusqu'à l'âme. Elle se nommait Mathilde, et familièrement nous l'appelions Matt. Oh ! celle-là, si j'avais pu lui fermer la porte de Louise, avec quelle joie je l'aurais fait ! Elle me semblait être son mauvais génie, et toutes les fois que j'entendais dire dans le monde quelque chose de malveillant sur Louise, je l'attribuais a Matt. Elle avait une façon de dire : « La pauvre petite », qui me donnait le frisson.
Je ne crois pas avoir dit encore, pourquoi on appelait Louise : pauvre petite ; ce surnom lui venait de son enfance ; elle était très délicate, née avant le temps, et avait passé ses premiers jours enveloppée dans de la ouate ; elle était, paraît-il, si chétive, qu'on ne pouvait s'empêcher, en la voyant, de s'écrier : Oh ! la pauvre petite ! Maintenant ce surnom était un peu ridicule, à cause de sa haute taille et de son élégante ampleur, mais l'habitude était prise.
Lorsque les premiers moments d'amour-propre flatté, de vanité assouvie furent passés pour Louise, un désenchantement absolu s'empara de tout son être, ce fut comme un malaise inexplicable, mais incessant.
Notre intimité, toujours croissante, fit qu'elle aima, dès le début, à se confier à moi, me faisant part de ses impressions les plus personnelles, me détaillant, avec une précision quelquefois gênante, toutes les circonstances qui consacrent à jamais l'union conjugale ...
Moments précieux et décisifs de l'existence qui sont si souvent remplis d'angoisses, voire même de crainte ... trop rarement hélas ! de charmes !
- Ma Jeanne chérie, me disait-elle, tu sais bien que mon sommeil avait toujours été abrité par l'ombre du rideau de ma mère, comme par l'aile d'un bon ange ; j'avais grandi bercée dans son sourire qui saluait chaque matin mon réveil ... ce doux sourire maternel qui fait croire que la vie est bonne ! ...
Et voilà que, tout a coup, ma mère disparaît, me livrant à un homme avec lequel, la veille, on ne me laissait pas causer seule. Alors je me mis à trembler, me reprochant ce moment de vertige, où, triomphant de mes hésitations, j'avais laissé entendre ce mot fatal : « Oui ! je l'accepte pour époux ! »
Oh ! mères, que vous êtes coupables, vous qui cachez à vos filles jusqu'au soupçon de la réalité !
Te souvient-il de cette foule qui m'a semblé innombrable à la cérémonie religieuse ? Ces chants pieux, l'autel éblouissant, le parfum enivrant de l'encens et des fleurs ! ... que sais-je ? mes voiles, ma robe blanche ...
Tout ce troublant ensemble se déroulait en ma mémoire ... j'étais mariée ... du moins pour le monde !
Mais quand ce rêve d'un jour s'envole et que la nuit descend ... quelle chute !
J'étais seule dans ma chambre, et tout en repassant en moi-même cette journée, je ne m'apercevais pas que les heures continuaient à se succéder ... quand j'entendis ma porte s'ouvrir, et mon mari parut ...
- Louise, arrête-toi, m'écriai-je, je ne sais vraiment si je puis continuer à t'entendre.
- Je t'en supplie, dit-elle, en me forçant à me rasseoir et à l'écouter, il faut que je te raconte, il faut que tu saches, j'ai confiance en toi ! ... Tu n'es donc plus mon amie ? ...
- Oh ! si, pauvre petite !
Elle continua :
- J'étais donc la propriété de cet homme, puisqu'il entrait ainsi chez moi, sans me demander si cela me convenait.
Être la chose de quelqu'un, c'est révoltant !
Je ne sais ce qu'il pensa, lui, mais il vint s'asseoir tout près de moi, si près que je respirais son haleine ; je voulais fuir, et me sentais clouée à ma place ! Il me fit un signe que je ne compris pas, puis il m'entraîna doucement avec lui et me souleva dans ses bras : là je ne sais plus bien ce qui se passa ; mais, sous ses baisers brûlants, je ne cherchais plus a me défendre, cédant à la violence de ses caresses, quand, tout à coup, je ressentis une impression inénarrable ; je jetai un cri, et perdis connaissance ! ... Est-ce que tu as perdu connaissance aussi, toi ?
- Louise, je t'ai promis de t'écouter, mais non de te faire des révélations aussi intimes !
Dans tout ce qu'elle me disait, je démêlais surtout une horreur, une répugnance que je ne pouvais comprendre, mariée moi-même depuis peu, heureuse et calme, dans une ivresse que rien ne semblait pouvoir troubler ! ...
Pauvre petite ! comme je l'aimais alors ! Il me semblait dans ces entretiens pleins d'abandon qu'elle avait besoin de moi, et que ma patience à l'écouter était un soulagement pour elle ! Son union fut stérile ; dans les premiers temps, elle en eut un réel chagrin, surtout lorsqu'elle vit un berceau près de moi et qu'elle embrassa mon premier-né. Souvent elle le prenait dans ses bras et se cachait afin de dissimuler une larme !
Ma petite Louise, pourquoi ne pas avouer que c'est cela qui a manqué à toute ta vie ? Voilà ta seule excuse si on veut bien t'en laisser une. Tu as eu beau être admirée, tu as eu beau être artiste, rien, vois-tu, n'atteint, comme poésie, le premier sourire de son fils !
J'ai dit qu'elle était artiste. Oui, elle l'était réellement ; sa voix chaude et caressante remuait jusqu'aux plus intimes fibres du coeur ; et quoique son mari n'aimât pas beaucoup la musique, elle avait souvent des réunions, soit nombreuses, soit intimes, où elle se produisait avec un charme incomparable.
Parmi ses habitués, dont j'étais naturellement, il y avait un ménage d'une laideur remarquable qui l'admirait de confiance, trop heureux d'être admis dans un salon élégant.
Ils appartenaient a cette catégorie plate et dédaigneuse qui flatte ceux dont elle espère tirer avantage, et qui n'a qu'un sourire de pitié pour le reste !
Puis une femme brune, grande, au teint mat, qu'on aurait prise pour un marbre antique échappé à quelque musée, sans ses grands yeux noirs brillants qui vous pénétraient jusqu'à l'âme. Elle se nommait Mathilde, et familièrement nous l'appelions Matt. Oh ! celle-là, si j'avais pu lui fermer la porte de Louise, avec quelle joie je l'aurais fait ! Elle me semblait être son mauvais génie, et toutes les fois que j'entendais dire dans le monde quelque chose de malveillant sur Louise, je l'attribuais a Matt. Elle avait une façon de dire : « La pauvre petite », qui me donnait le frisson.
Je ne crois pas avoir dit encore, pourquoi on appelait Louise : pauvre petite ; ce surnom lui venait de son enfance ; elle était très délicate, née avant le temps, et avait passé ses premiers jours enveloppée dans de la ouate ; elle était, paraît-il, si chétive, qu'on ne pouvait s'empêcher, en la voyant, de s'écrier : Oh ! la pauvre petite ! Maintenant ce surnom était un peu ridicule, à cause de sa haute taille et de son élégante ampleur, mais l'habitude était prise.