C'était cette « spécialité » précisément qui obligeait M. Pichancourt à se pourvoir de trois aides ou élèves, tandis que les autres pharmaciens de la localité se contentent généralement d'un seul, qui jouissait même de nombreux loisirs.
Fanfare par toutes les trompettes de la réclame, répandu à profusion dans toutes les officines de France et de Navarre, universellement connu et employé, sans pour cela, j'en ai une vague crainte, que sa réputation fût des plus méritées, l'anti coryza était, pour son inventeur tout au moins, une excellente affaire. M. Pichancourt avait dû construire, pour la fabrication de ce remède, un laboratoire spécial, une véritable usine, à cinq kilomètres de la ville, au Val d'Amby, près de la frontière suisse. Toutes ses journées se passaient dans cet établissement, à surveiller ouvriers et ouvrières, comptables et expéditionnaires, camionneurs et garçons de peine ; et comme le contre-choc de cette lourde charge se faisait inévitablement ressentir jusqu'à la boutique de la place de la Mairie, jusqu'à la « maison mère », le pharmacien avait été contraint d'abord d'obvier à son absence et se faire remplacer, ensuite de prendre un second élève ; total : trois « potards ».
Nestor Richefeu, le plus ancien, celui à qui M. Pichancourt avait délégué ses pleins pouvoirs, était un solide gaillard de vingt-quatre ans, trapu, courtaud, largement râblé, joufflu et rubicond comme une pomme d'api.
Le second, Théodule-Alcide Lardenois, qui avait un an de moins, était tout aussi solidement étoffé et à peu près aussi mafflu et rougeau que son supérieur. Comme lui, il appartenait à une famille de paysans bessans.
Le troisième, Félix Cabrillat, entrait dans sa vingt-deuxième année et avait pour père un maître d'armes de Besançon. Il était de taille moyenne, pâlot et maigrelet, avait l'air doux, réservé, distingué, somme toute, et, depuis deux semaines qu'il faisait partie du personnel de la pharmacie Pichancourt, ne s'était pas encore regimbé contre les inévitables exigences de ses deux aînés.
Il y avait près d'une année que ceux-ci vivaient côte à côte, et, jusqu'à cette soirée d'octobre, à part quelques piques insignifiantes, la meilleure intelligence n'avait cessé de régner entre eux. Mais, comme, la poule du fabuliste, Mlle Adrienne Desormeaux survint, Et voilà la guerre allumée entre nos deux coqs, Nestor Richefeu et Théodule-Alcide Lardenois.
Le lendemain matin, sur les neuf heures, à son retour de la messe, Mlle Desormeaux, escortée de sa gouvernante, pénétrait de nouveau dans la pharmacie. Il faut croire que le baume « souverain » n'avait produit que fort peu d'effet, car la jeune fille tenait, pliée dans son livre de prières, une ordonnance du docteur Morel.
Cette fois, ce fut Théodule Lardenois qui s'avança. Nestor Richefeu, « monsieur le joli cœur », était à son tour absent de la boutique et occupé dans le laboratoire.
- Monsieur votre père ne va donc pas mieux, mademoiselle ?
- Non, monsieur, hélas! Il n'a pu fermer l'œil de la nuit.
Toujours son rhumatisme dans l'épaule! Et puis la fièvre qui s'est déclarée, une grosse fièvre ... M. Morel est venu dès le matin ...
- Heureusement que c'est sans gravité! crut devoir alléguer Lardenois pour la tranquilliser.
- C'est ce qu'assure aussi M. Morel. Il n'y a aucun danger, rien de sérieux à redouter. N'empêche que papa souffre bien ... Nous avons eu beau le frictionner, Naïs et moi, avec ce que le ... ce que votre ... le monsieur qui était là, nous a apporté hier soir, rien n'y a fait. M. Morel a même déclaré qu'il aurait mieux valu ne rien faire du tout et attendre sa visite. Aussi vous serai-je infiniment reconnaissante de préparer l'ordonnance sans tarder ...
- Mais tout de suite, mademoiselle, à l'instant même! Et je vous la porterai moi-même aussitôt!
- Vous serez bien aimable, monsieur.
Juste au moment où Adrienne et sa gouvernante Naïs quittaient la pharmacie, Richefeu y entrait par la porte opposée à celle de la rue, la porte du laboratoire.
- Tiens, mais ... c'est Mlle Desormeaux qui était ici ? ... Ah! veinard!
- Oui, elle-même, avoua Lardenois, qui était déjà en train d'exécuter l'ordonnance du docteur Morel.
Lorsqu'il eut fini, il mit la fiole et les deux petits paquets de drogues dans sa poche, et, comme avait fait Richefeu la veille, s'apprête à sortir, mais ostensiblement, par la porte du magasin et non par celle du corridor.
- Où vas-tu donc ? demanda le remplaçant de M. Pichancourt.
- Porter l'ordonnance Desormeaux.
- Et Vincent, à quoi sert-il alors ? C'est la besogne du garçon de laboratoire, et non celle des élèves, de porter les ordonnances à domicile.
- Tu y es bien allé hier, toi, porter celle de Mlle Desormeaux!
- Moi, je suis allé ? Qu'en sais-tu ? Cela n'est pas vrai d'abord!
Fanfare par toutes les trompettes de la réclame, répandu à profusion dans toutes les officines de France et de Navarre, universellement connu et employé, sans pour cela, j'en ai une vague crainte, que sa réputation fût des plus méritées, l'anti coryza était, pour son inventeur tout au moins, une excellente affaire. M. Pichancourt avait dû construire, pour la fabrication de ce remède, un laboratoire spécial, une véritable usine, à cinq kilomètres de la ville, au Val d'Amby, près de la frontière suisse. Toutes ses journées se passaient dans cet établissement, à surveiller ouvriers et ouvrières, comptables et expéditionnaires, camionneurs et garçons de peine ; et comme le contre-choc de cette lourde charge se faisait inévitablement ressentir jusqu'à la boutique de la place de la Mairie, jusqu'à la « maison mère », le pharmacien avait été contraint d'abord d'obvier à son absence et se faire remplacer, ensuite de prendre un second élève ; total : trois « potards ».
Nestor Richefeu, le plus ancien, celui à qui M. Pichancourt avait délégué ses pleins pouvoirs, était un solide gaillard de vingt-quatre ans, trapu, courtaud, largement râblé, joufflu et rubicond comme une pomme d'api.
Le second, Théodule-Alcide Lardenois, qui avait un an de moins, était tout aussi solidement étoffé et à peu près aussi mafflu et rougeau que son supérieur. Comme lui, il appartenait à une famille de paysans bessans.
Le troisième, Félix Cabrillat, entrait dans sa vingt-deuxième année et avait pour père un maître d'armes de Besançon. Il était de taille moyenne, pâlot et maigrelet, avait l'air doux, réservé, distingué, somme toute, et, depuis deux semaines qu'il faisait partie du personnel de la pharmacie Pichancourt, ne s'était pas encore regimbé contre les inévitables exigences de ses deux aînés.
Il y avait près d'une année que ceux-ci vivaient côte à côte, et, jusqu'à cette soirée d'octobre, à part quelques piques insignifiantes, la meilleure intelligence n'avait cessé de régner entre eux. Mais, comme, la poule du fabuliste, Mlle Adrienne Desormeaux survint, Et voilà la guerre allumée entre nos deux coqs, Nestor Richefeu et Théodule-Alcide Lardenois.
Le lendemain matin, sur les neuf heures, à son retour de la messe, Mlle Desormeaux, escortée de sa gouvernante, pénétrait de nouveau dans la pharmacie. Il faut croire que le baume « souverain » n'avait produit que fort peu d'effet, car la jeune fille tenait, pliée dans son livre de prières, une ordonnance du docteur Morel.
Cette fois, ce fut Théodule Lardenois qui s'avança. Nestor Richefeu, « monsieur le joli cœur », était à son tour absent de la boutique et occupé dans le laboratoire.
- Monsieur votre père ne va donc pas mieux, mademoiselle ?
- Non, monsieur, hélas! Il n'a pu fermer l'œil de la nuit.
Toujours son rhumatisme dans l'épaule! Et puis la fièvre qui s'est déclarée, une grosse fièvre ... M. Morel est venu dès le matin ...
- Heureusement que c'est sans gravité! crut devoir alléguer Lardenois pour la tranquilliser.
- C'est ce qu'assure aussi M. Morel. Il n'y a aucun danger, rien de sérieux à redouter. N'empêche que papa souffre bien ... Nous avons eu beau le frictionner, Naïs et moi, avec ce que le ... ce que votre ... le monsieur qui était là, nous a apporté hier soir, rien n'y a fait. M. Morel a même déclaré qu'il aurait mieux valu ne rien faire du tout et attendre sa visite. Aussi vous serai-je infiniment reconnaissante de préparer l'ordonnance sans tarder ...
- Mais tout de suite, mademoiselle, à l'instant même! Et je vous la porterai moi-même aussitôt!
- Vous serez bien aimable, monsieur.
Juste au moment où Adrienne et sa gouvernante Naïs quittaient la pharmacie, Richefeu y entrait par la porte opposée à celle de la rue, la porte du laboratoire.
- Tiens, mais ... c'est Mlle Desormeaux qui était ici ? ... Ah! veinard!
- Oui, elle-même, avoua Lardenois, qui était déjà en train d'exécuter l'ordonnance du docteur Morel.
Lorsqu'il eut fini, il mit la fiole et les deux petits paquets de drogues dans sa poche, et, comme avait fait Richefeu la veille, s'apprête à sortir, mais ostensiblement, par la porte du magasin et non par celle du corridor.
- Où vas-tu donc ? demanda le remplaçant de M. Pichancourt.
- Porter l'ordonnance Desormeaux.
- Et Vincent, à quoi sert-il alors ? C'est la besogne du garçon de laboratoire, et non celle des élèves, de porter les ordonnances à domicile.
- Tu y es bien allé hier, toi, porter celle de Mlle Desormeaux!
- Moi, je suis allé ? Qu'en sais-tu ? Cela n'est pas vrai d'abord!