Texte - « Nouveaux mystères et aventures » Arthur Conan Doyle

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Je la lui tendis, et aussitôt, à mon grand étonnement, elle s'élança légèrement et sans bruit à travers une ouverture de la haie, son corps se pencha, et elle rampa avec agilité en se dissimulant derrière une petite hauteur. J'étais encore à la suivre des yeux, tout stupéfait, quand un lapin se leva soudain devant elle et partit.

Elle lança la canne sur lui et atteignit, mais l'animal parvient à s'échapper tout en boitant d'une patte.

Elle revint vers moi triomphante, essoufflée : - Je l'ai vu remuer dans l'herbe, dit-elle, je l'ai atteint.

- Oui, vous l'avez atteint, vous lui avez cassé une patte, lui dis-je avec quelque froideur.

- Vous lui avez fait mal, s'écria le petit garçon d'un ton peiné.

- Pauvre petite bête! s'écria-t-elle, changeant soudain de manières. Je suis bien fâchée de l'avoir blessée.

Elle avait l'air tout à fait décontenancée par cet incident et causa très peu pendant le reste de notre promenade.

Pour ma part, je ne pouvais guère la blâmer.

C'était évidemment une explosion du vieil instinct qui pousse le sauvage vers une proie, bien que cela produisit une impression assez désagréable de la part d'une jeune dame vêtue à la dernière mode et sur une grande route d'Angleterre.

Un jour qu'elle était sortie, John Thurston me fit jeter un coup d'oeil dans la chambre qu'elle habitait.

Elle avait là une quantité de bibelots hindous, qui prouvait qu'elle était venue de son pays natal avec une ample cargaison.

Son amour d'Orientale pour les couleurs vives se manifestait d'une façon amusante.

Elle était allée à la ville où se tenait le marché, y avait acheté beaucoup de feuilles de papier rouge et bleu, qu'elle avait fixées au moyen d'épingles sur le revêtement de couleur sombre que jusqu'alors couvrait le mur.

Elle avait aussi du clinquant qu'elle avait réparti dans les endroits les plus en vue, et pourtant il semblait qu'il y ait quelque chose de touchant dans cet effort pour reproduire l'éclat des tropiques dans cette froide habitation anglaise.

Pendant les quelques premiers jours que j'avais passés à Dunkelthwaite, les singuliers rapports qui existaient entre miss Warrender et le secrétaire avaient simplement excité ma curiosité, mais après des semaines, et quand je me fus intéressé davantage a la belle Anglo-Indienne, un sentiment plus profond et plus personnel s'empara de moi.

Je me mis le cerveau à la torture pour deviner quel était le lien qui les unissait.

Comme se faisait-il que tout en montrant de la façon la plus évidente qu'elle ne voulait pas de sa société pendant le jour, elle se promenait seule avec lui, la nuit venue ?

Il était possible que l'aversion qu'elle manifestait envers lui devant des tiers fût une ruse pour cacher ses véritables sentiments.

Une telle supposition amenait à lui attribuer une profondeur de dissimulation naturelle que semblait démentir la franchise de son regard, la netteté et la fierté de ses traits.

Et pourtant quelle autre hypothèse pourrait expliquer le pouvoir incontestable qu'il exerçait sur elle! Cette influence perçait en bien des circonstances, mais il en usait d'une façon si tranquille, si dissimulée qu'il fallait une observation attentive pour s'apercevoir de sa réalité.

Je l'ai surpris lui lançant un regard si impérieux, même si menaçant, a ce qu'il me semblait, que le moment d'après, j'avais peine à croire que cette figure pâle et dépourvue d'expression fût capable d'en prendre une aussi marquée.

Lorsqu'il la regardait ainsi, elle se démenait, elle frissonnait comme si elle avait éprouvé de la souffrance physique.

« Décidément, me dis-je, c'est de la crainte et non de l'amour qui produit de tels effets. » Cette question m'intéresse tant, que j'en parle a mon ami John.

Il était, à ce moment-là, dans son petit laboratoire, abîmé dans une série de manipulations, de distillations qui devaient aboutir a la production d'un gaz fétide, et nous faire tousser en nous prenant à la gorge.

Je profite de la circonstance qui nous obligeait à respirer le grand air, pour l'interroger sur quelques points sur lesquels je désirais être renseigné.

- Depuis combien de temps disiez-vous que miss Warrender se trouve chez votre oncle ? demandai-je.

John me jeta un regard narquois et agita son doigt taché d'acide.

- Il me semble que vous vous intéressez bien singulièrement à la fille du défunt et regretté Achmet Genghis, dit-il.

- Comment s'en empêcher ? répondis-je franchement. Je lui trouve un des types les plus romanesques que j'aie jamais rencontrés.

- Méfiez-vous de ces études-là, mon garçon, dit John d'un ton paternel. C'est une occupation qui ne vaut rien a la veille d'un examen.

- Ne faites pas le nigaud, répliquai-je. Le premier venu pourrait croire que je suis amoureux de miss Warrender, a vous entendre parler ainsi. Je la regarde comme un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

- C'est bien cela, un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

Il me semblait que John devait avoir encore autour de lui quelques vapeurs de ce gaz, car ses façons étaient réellement irritantes.

- Pour en revenir à ma première question, dis-je, depuis combien de temps est-elle ici ?

- Environ dix semaines.

- Et Copperthorne ?

- Plus de deux ans.

- Avez-vous quelque idée qu'ils se soient déjà connus ?

- C'est impossible, déclara nettement John. Elle venait d'Allemagne. J'ai vu la lettre où le vieux négociant donnait des indications sur sa vie passée. Copperthorne est toujours resté dans le Yorkshire, en dehors de ses deux ans de Cambridge. Il a dû quitter l'Université dans des conditions peu favorables.

- En quel sens ?

- Ne sais pas, répondit John. On a tenu la chose sous clef. Je m'imagine que l'oncle Jérémie le sait. Il a la marotte de ramasser des déclassés et de leur refaire ce qu'il appelle une nouvelle vie. Un de ces jours, il lui arrivera quelque mésaventure avec un type de cette sorte.

- Ainsi donc Copperthorne et miss Warrender étaient absolument étrangers l'un à l'autre il y a quelques semaines ?

- Absolument. Maintenant je crois que je ferai bien de rentrer et d'analyser le précipité.

- Laissez là votre précipité, m'écriai-je en le retenant. Il y a d'autres choses dont j'ai à vous parler. S'ils ne se connaissent que depuis quelques semaines, comment a-t-il fait pour acquérir le pouvoir qu'il exerce sur elle ?

John me regarda d'un air ébahi.

- Son pouvoir ? dit-il.

- Oui, l'influence qu'il possède sur elle.

- Mon cher Hugh, me dit bravement mon ami, je n'ai point pour habitude de citer ainsi l'Écriture, mais il y a un texte qui me revient impérieusement à l'esprit et le voici : « Trop de science les a rendus fous. » Vous aurez fait des excès d'études.

- Entendez-vous dire par là, m'écriai-je, que vous n'avez jamais remarqué l'entente secrète qui paraît exister entre la gouvernante et le secrétaire de votre oncle ?

- Essayez du bromure de potassium, dit John. C'est un calmant très efficace à la dose de vingt grains.

- Essayez une paire de lunettes, répliquai-je. Il est certain que vous en avez grand besoin.

Et après avoir lancé cette flèche de Parthe je pivotai sur mes talons et m'éloigner de fort méchante humeur.

Je n'avais pas fait vingt pas sur le gravier du jardin, que je vis le couple dont nous venons de parler.

Ils étaient à quelque distance, elle a adossé au cadran solaire, lui debout devant elle.

Il lui parlait vivement, et parfois avec des gestes brusques.

Le dominant de sa taille haute et dégingandée, avec les mouvements qu'il imprimait à ses longs bras, il avait l'air d'une énorme chauve-souris planant au-dessus de sa victime.

Je me rappelle que cette comparaison fut celle-là même qui se présenta à ma pensée et qu'elle prit une netteté d'autant plus grande que je voyais dans les moindres détails de la belle figure se dessiner l'horreur et l'effroi.

Ce petit tableau servait si bien d'illustration au texte, sur lequel je venais de prêcher, que je fus tenté de retourner au laboratoire et d'amener l'incrédule John pour le lui faire contempler.

Mais avant que j'eusse le temps de prendre mon parti, Copperthorne m'avait entrevue.

Il fit demi-tour, et se dirigea d'un pas lent dans le sens opposé qui menait vers les massifs, suivi de près par sa compagne, qui coupait les fleurs avec son ombrelle tout en marchant. Après ce petit épisode, je rentrai dans ma chambre, bien décidé à reprendre mes études, mais, quoi que je fisse, mon esprit vagabondait bien loin de mes livres, et se mettait à spéculer sur ce mystère.

J'avais appris de John que les antécédents de Copperthorne n'étaient pas des meilleurs, et pourtant il avait évidemment conquis une influence énorme sur l'esprit affaibli de son maître.

Je m'expliquais ce fait, en remarquant la peine infinie, qu'il prenait pour se dévouer au dada du vieillard, et le tact consommé avec lequel il flattait et encourage les singulières lubies poétiques de celui-ci.

Mais comment m'expliquer l'influence non moins évidente dont il jouissait sur la gouvernante ?