Texte - « L'oiseau blanc : conte bleu » Denis Diderot

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Tout ce qui n'avait point cet éclat qui frappe d'abord déplaisait souverainement à Génistan. Sa vivacité naturelle ne lui permettait ni d'approfondir le mérite réel ni de le distinguer des agréments superficiels. C'était un défaut national dont la fée n'avait pu le corriger, mais dont elle se flatta de prévenir les effets: elle prévit que, si Polychresta restait dans ses atours négligés, le prince, qui avait malheureusement contracté à la cour de son père et à celle du Tongut le ridicule de la grande parure, avec ce ton qui change tous les six mois, la prendrait à coup sûr pour une provinciale mise de mauvais goût et de la conversation la plus insipide. Pour obvier à cet inconvénient, Vérité fit avertir Polychresta qu'elle avait à lui parler. Elle vint. «Vous soupirez, lui dit la fée, et depuis longtemps, pour le fils de Zambador: je lui ai parlé de vous; mais il m'a paru peu disposé à ce que nous désirons de lui. Il s'est entêté dans ses voyages d'une jeune folle qui n'est pas sans mérite, mais avec laquelle il ne fera que des sottises: je voudrais bien que vous travaillassiez à lui arracher cette fantaisie; vous le pourriez en aidant un peu à la nature et en vous pliant au goût du prince et aux avis d'une bonne amie: par exemple, vous avez là les plus beaux yeux du monde; mais ils sont trop modestes; au lieu de les tenir toujours baissés, il faudrait les relever et leur donner du jeu: c'est la chose la plus facile. Cette bouche est petite, mais elle est sérieuse; je l'aimerais mieux riante. J'abhorre le rouge; mais je le tolère lorsqu'il s'agit d'engager un homme aimable. Vous ordonnerez donc à vos femmes d'en avoir. On abattra, s'il vous plaît, cette forêt de cheveux qui rétrécit votre front; et vous quitterez vos cornettes: les femmes n'en portent que la nuit. Pour ces fourrures, elles ne sont plus de saison; mais demain je vous enverrai une personne qui vous conseillera là-dessus, et dont je compte que vous suivrez les conseils, quelque ridicules que vous puissiez les trouver. » Polychresta allait représenter à la fée qu'elle ne se résoudrait jamais à se métamorphoser de la tête aux pieds, et qu'il ne lui convenait pas de faire la petite folle; mais Vérité, lui posant un doigt sur les lèvres, lui commanda de se parer et de ne rien négliger pour captiver le prince.

Le lendemain matin, la fée Churchille, ou, dans la langue du pays, Coquette, arriva avec tout l'appareil d'une grande toilette. Une corbeille, doublée de satin bleu, renfermait la parure la plus galante et du goût le plus sûr; les diamants, l'éventail, les gants, les fleurs, tout y était, jusqu'à la chaussure: c'était les plus jolies petites mules qu'on eût jamais brodées. La toilette fut déployée en un tour de main, et toutes les petites boîtes arrangées et ouvertes: on commença par lui égaliser les dents, ce qui lui fit grand mal; on lui appliqua deux couches de rouge; on lui plaça sur la tempe gauche une grande mouche à la reine; de petites furent dispersées avec choix sur le reste du visage: ce qui acheva cette partie essentielle de son ajustement. J'oubliais de dire qu'on lui peignit les sourcils et qu'on lui en arracha une partie, parce qu'elle en avait trop. On répondit aux plaintes qui lui échappèrent dans cette opération, que les sourcils épais étaient de mauvais ton. On ne lui en laissa donc que ce qu'il lui en fallait pour lui donner un air enfantin; elle supporta cette espèce de martyre avec un héroïsme digne d'une autre femme et de l'amant qu'elle voulait captiver. Churchille y mit elle-même la main, et épuisa toute la profondeur de son savoir pour attraper ce je ne sais quoi, si favorable à la physionomie: elle y réussit; mais ce ne fut qu'après l'avoir manqué cinq ou six fois. On parvint enfin à lui mettre des diamants. Churchille fut d'avis de les ménager, de crainte que la quantité n'offusquât l'éclat naturel de la princesse: pour les femmes, elles lui en auraient volontiers placé jusqu'aux genoux, si on les avait laissées faire. Puis on la laça. On lui posa un panier d'une étendue immense, ce qui la choqua beaucoup: elle en demanda un plus petit. «Eh! fi donc, lui répondit Churchille; pour peu qu'on en rabattît, vous auriez l'air d'une marchande en habit de noces, et sans rouge on vous prendrait pour pis. Il fallut donc en passer par là: on continua de l'habiller, et quand elle le fut, elle se regarda dans une glace: jamais elle n'avait été si bien, et jamais elle ne s'était trouvée aussi mal. Elle en reçut des compliments. Vérité lui dit, avec sa sincérité ordinaire, que dans ses atours elle lui plaisait moins, mais qu'elle en plairait davantage à Génistan; qu'elle effacerait Lively dans son souvenir, et qu'elle pouvait s'attendre, pour le lendemain, à un sonnet, à un madrigal; car, ajouta-t-elle, il fait assez joliment des vers, malgré toutes les précautions que j'ai prises pour le détourner de ce frivole exercice.

La fée donna l'après-dînée un concert de musettes, de vielles et de flûtes. Génistan y fut invité: on plaça avantageusement Polychresta, c'est-à-dire qu'elle n'eut point de lustre au-dessus de sa tête, pour que l'ombre de l'orbite ne lui renfonçât pas les yeux. On laissa à côté d'elle une place pour le prince, qui vint tard; car son impatience n'était pas de voir sa déesse de campagne: c'est ainsi qu'il appelait Polychresta. Il parut enfin et salua, avec ses grâces et son air distrait, la fée et le reste de l'assemblée. Vérité le présenta à sa protégée, qui le reçut d'un air timide et embarrassé, en lui faisant de très-profondes révérences. Cependant le prince la parcourait avec une attention à la déconcerter: il s'assit auprès d'elle et lui adressa des choses fines; Polychresta lui en répondit de sensées, et le prince conçut une idée avantageuse de son caractère, avec beaucoup d'éloignement pour sa société; «eh! laissez là le sens commun, ayez de la gentillesse et de l'enjouement; voilà l'essentiel avec de vieux louis, disait un bon gentilhomme...»